S’agissant de la réforme territoriale, le législateur peut donner l’impression d’avancer sans feuille de route clairement définie, voire parfois sous le coup de l’improvisation. Les dernières années ont vu les Départements mis en cause dans leur existence même, puis remis en selle bien que leur périmètre de compétences ait été réduit. En parallèle, la fusion des Régions a été menée à bien, autour de périmètres souvent contestés et qu’il va désormais falloir intégrer. Et l’intercommunalité ne cesse de se renforcer, en compétences comme en taille, alors qu’on lui dénie toujours le statut d’une Collectivité et la possibilité d’une élection directe par le citoyen, ce privilège républicain étant, au sein du bloc local, réservé aux communes.
Toutefois, au cœur de cette valse institutionnelle, des évolutions profondes se dessinent et notamment du point de vue de l’organisation des transports. En particulier, la loi NOTRé du 5 août 2015 entérine le transfert des Départements aux Régions, au 1er janvier 2017 des services de transport interurbains et à la demande, et au 1er septembre 2017 des services de transport scolaire.
Des conséquences très lourdes
Il s’agit tout d’abord de transferts qui ont des conséquences sur le plan humain et opérationnel. Les personnels en charge du suivi des budgets, des lignes, des abonnements, des contrats opérateurs… doivent également être repris par les Régions.
Il s’agit également de transferts très lourds de conséquences sur le plan financier. Les transports gérés par les Départements pèsent pour plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année dans leurs budgets. On y verra également d’une dépense inflationniste : sous le coup des normes impactant les véhicules, des charges de personnel et de carburant, de la démographie scolaire, des approches marketing impliquant la gratuité ou des prix réduits, le reste à financer s’est considérablement accru d’années en années. Le transfert à la Région est certes financièrement neutre au travers de la compensation due par les Départements, mais les Départements auront par cette compensation à assumer durablement un coût devenu très élevé avec les années, et les Régions à juguler une dépense jusque-là irrésistible dans sa progression.
Des opportunités réelles pour l’optimisation de la compétence
Ce transfert, qui constitue donc un défi administratif de premier ordre, n’en est pas moins riche d’opportunités pour la nouvelle autorité organisatrice. Il y a tout d’abord d’intéressantes économies d’échelle à rechercher, notamment au travers d’une restructuration des contrats avec les opérateurs, mais également des moyens mis en œuvre pour le suivi des services. Ces économies d’échelle n’auront toutefois rien d’automatique, et nécessiteront une volonté appuyée. La tentation serait grande de se contenter d’une approche territorialisée de la compétence transport, voire de sa re-délégation aux Départements comme le permet l’article L1111-8 du CGCT. Par ailleurs, on sait que les opérateurs n’ont pas partout une structuration suffisante pour envisager une intervention à l’échelle des 13 grandes régions, et la réorganisation des agents publics en vue de la réalisation d’économie est toujours une voie ardue pour le gestionnaire de fonds publics.
Pourtant, il y a fort à faire, d’autant que les Régions sont également depuis 2002 autorité organisatrice du transport ferroviaire, et par extension du TER routier. Une remise à plat de l’articulation entre ces deux périmètres jusque-là insuffisamment intégrés voire parfois concurrents sera utile tant du point de vue du niveau de service que de son coût.
Enfin, la réforme facilite l’intégration tarifaire : les Départements quittant la scène, il y a désormais un nombre réduit d’acteurs à faire cohabiter pour promouvoir des offres globales de transport public de voyageurs et offrir une facilité de tarification aux usagers. Gare toutefois aux conséquences budgétaires si les Régions devaient à leur échelle reprendre la stratégie de certains Départements, qui ont rendu ici ou là le transport gratuit ou facturé à l’usager à l’euro symbolique.
Un transfert qui intervient dans un environnement lui-même en mutation
Le transfert de la compétence transport aux Régions présente ses difficultés propres, mais il ne faut pas oublier qu’il intervient dans un environnement également mouvant, ce qui accroît sa complexité. On rappellera tout d’abord que l’accroissement des intercommunalités prive (ou épargne) les Régions d’un transfert intégral des lignes départementales. De plus en plus de lignes sont intégrées en totalité dans le périmètre des intercommunalités, ce qui implique leur reprise par ces dernières. De fait, la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 a induit la notion de « ressort territorial des autorités organisatrices de la mobilité »[1], permettant ainsi de s’écarter du traditionnel « périmètre de transport urbain » et d’intégrer notamment certaines lignes départementales qui n’avaient pas vraiment à voir avec les réseaux « cœur d’agglomération».
Au-delà, rappelons que 9 des 13 Régions métropolitaines issues de la réforme sont la conséquence de fusions. Dans la plupart des cas, ce sont donc de nombreux Départements qui transfèrent de nombreuses lignes, à une entité qui n’existait même pas un an avant la date effective du transfert. Ajoutons que les Régions redessinées par la réforme auront à gérer le rapprochement puis la fusion de leurs conventions TER. Ces mêmes conventions TER connaissent des évolutions importantes : la contrainte financière durcit les discussions entre la SNCF (exploitant exclusif) et les Régions, mais les services de TER routiers en sont de plus en plus déconnectés (attribution au travers de marchés spécifiques) et la perspective de l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires ouvrira des possibilités importantes de reconfiguration. Enfin, ne négligeons pas les effets de la loi Macron du 6 août 2015, qui a libéralisé les transports par autocar, susceptibles désormais de concurrencer sur certains points les réseaux publics des régions, routiers ou ferroviaires.
Inventer les transports des vingt prochaines années
Ainsi, le transfert de la compétence transport des Départements aux Régions constitue un véritable défi. Une approche fine des équilibres financiers et des aspects organisationnels qu’il sous-tend est indispensable à la sécurisation de la position tant des Départements que des Régions. Et au-delà, dans un environnement en pleine mutation, le défi est immense pour les nouveaux exécutifs régionaux qui ont là une occasion importante d’inventer le transport public des vingt prochaines années, en cohérence avec leurs objectifs budgétaires et environnementaux.