Depuis fin janvier, notre pays vit à l’heure du coronavirus. Depuis la mi-mars, l’épidémie est même devenue une réalité concrète pour chacun d’entre nous : les malades et leurs familles bien sûr, et l’ensemble de la population impactée dans ses activités quotidiennes par le confinement.
Dans la difficulté, nous éprouvons cependant un soulagement important à voir la résistance de notre corps social et de nos institutions. Les Français respectent largement les mesures barrière et de distanciation sociale. Les soignants se sont mobilisés et rivalisent d’ingéniosité pour accueillir tous les malades. Les services essentiels à la population sont assurés par des agents publics et privés tout à fait conscients de leur responsabilité. Les chefs d’entreprise et les salariés font preuve d’une grande adaptabilité pour continuer leur activité et instaurer le télétravail chaque fois que cela est possible. Les professeurs et les enfants parviennent à garder le contact et à avancer malgré tout dans les apprentissages. Nous pouvons être fiers de cette France de 2020.
Bien sûr, la crise fait également transparaître des comportements plus discutables. Certains prennent encore à la légère le confinement en faisant courir des risques à tous à commencer par celui de rester plus longtemps confinés. Inversement, les délations, l’accueil hostile des résidents secondaires… ne font pas honneur à notre communauté nationale. Et que dire de ces quelques agitateurs professionnels qui profitent de la situation pour réactiver leur rhétorique vindicative…
Mais ces comportements demeurent isolés, et ne gâchent pas la belle union dans l’effort.
Pour autant, les débats sont légitimes, tant sur la conduite de la crise que sur l’après.
Sans retirer à des pouvoirs publics présents sur tous les fronts depuis le début de la crise, il nous faudra bien constater que nous n’étions pas suffisamment préparés. Comme tous les pays du monde sans doute. Et du fait de choix ou peut-être de non-choix qui remontent à des années. Nous manquons de stock médical, de capacités de réaction dans le domaine des tests et des médicaments, de procédures et de formation dans nos EHPAD… Gageons que nous retiendrons la leçon. Notre centralisme national sanitaire ne fonctionne pas bien. Il faudra donner à l’Europe une véritable compétence en santé, car les virus n’ont pas de frontière et que la solidarité européenne est indispensable. Et il faudra impliquer efficacement le secteur local qui connaît les réalités de terrain : on en est loin quand on voit que certains préfets ont tenté de réquisitionner de manière tout-à-fait honteuse les masques que les collectivités locales parvenaient au prix de grands efforts à importer.
Sur un plan économique, nous avons intuitivement et finalement de manière assez consensuelle opéré le choix suivant : maintenir les secteurs vitaux en activité, basculer massivement sur le télétravail chaque fois que cela est possible, neutraliser au mieux l’effet de la crise sur les autres acteurs économiques grâce à l’activité partielle et le différé de certaines échéances. Maintenir les secteurs vitaux implique de protéger correctement ceux qui y travaillent ; nous sommes à la peine même si l’esprit de dévouement et de sacrifice est louable. La bascule sur le télétravail s’est faite de manière très souple et efficace, c’est une réussite à saluer et qui implique ces autres héros du quotidien que sont les entreprises et leurs salariés. Pour l’activité partielle, il faudra cependant dire la vérité : ce que nous nous autorisons aujourd’hui, il faudra le rattraper ensuite. Toute perte de production est une perte collective, on ne distribue jamais les richesses qu’on n’a pas su produire.
Surtout, il va falloir inventer demain. On voit déjà que les débats seront soutenus.
Le confinement nous aura offert une belle expérience de décroissance. Réduction drastique de la consommation, des déplacements… tout le programme est mis en œuvre. Chacun aura au moins pu constater par lui-même le caractère insoutenable sur le long terme de cette perspective. Mais, comment faire pour que la reprise de l’activité nous rapproche de nos objectifs environnementaux plutôt que de nous en éloigner ? Et comment faire pour que cela soit vrai à l’échelle de la planète ?
La crise aura également montré l’importance de nos services publics. On prétextera volontiers l’irresponsabilité des baisses de budget intervenues ces dernières décennies. Déjà, des voix s’élèvent comme un appel à ouvrir plus encore les vannes de la dépense publique. Mais, la dépense publique n’a pas diminué dans notre pays. En revanche, certains secteurs ont souffert de restrictions parce que notre Etat devenu pléthorique et toujours si réticent à la décentralisation n’a pas su retrouver l’agilité requise pour s’adapter aux changements du monde. Il faudra donc faire des choix, pour assurer non seulement la quantité mais surtout la qualité de la dépense publique.
La crise aura accentué encore un peu plus les tensions qui traversent notre pays, tant il est vrai que les Français, de part leur statut professionnel, leur géographie, leur patrimoine… auront vécu différemment ce moment si particulier du confinement… et vivront différemment la crise économique qui en découle. Il faudra plus que jamais lutter contre l’exclusion sociale et économique, et veiller à ce que le progrès soit une possibilité ouverte à tous.
La crise permettra peut-être aussi de repenser notre rapport au temps de l’éducation, du travail et de la formation. Nous prenons de nouvelles habitudes, à distance des bureaux, ou des établissements scolaires pour les plus jeunes. Comment tirer le meilleur de cette évolution forcée, sans pour autant renier avec le sens du travail et d’une éducation qui ne laisse personne sur le bord de la route ? L’innovation sera une clé essentielle pour transformer la crise en opportunité. Elle pourrait avoir de profondes conséquences sur le rapport à l’entreprise et à l’école.
Enfin, la crise pourrait porter en son sein la perspective de la réforme tant attendue de notre Europe. On voit bien ce qu’il en coûte aujourd’hui d’avoir une Europe sous dotée en compétence et en budget. Son action est réduite au bon vouloir des égoïsmes nationaux. Nous voyons pourtant bien que ce n’est pas ce qui fonctionne. Et si nous osions enfin un véritable Etat européen, dont la subsidiarité serait la norme ?
L’urgence est de tenir face à la crise sanitaire et d’inventer les solutions pragmatiques qui en limiteront les conséquences immédiates. Mais que chacun prenne part au débat qui suivra la crise. Sans nul doute l’un des plus intéressants de la première partie de ce vingt-et-unième siècle.